CBS annonce lâannulation de « The Late Show with Stephen Colbert » face Ă de lourdes pertes financiĂšres et Ă des enjeux de fusion avec Skydance
CBS ferme un chapitre emblématique de la télévision américaine
New York â Câest un coup de tonnerre dans lâunivers tĂ©lĂ©visuel amĂ©ricain : CBS a officialisĂ© la fin de « The Late Show with Stephen Colbert » pour mai 2026, invoquant des pertes financiĂšres considĂ©rables et les dĂ©fis liĂ©s Ă la potentielle fusion du groupe avec Skydance Media. Cette dĂ©cision marque la conclusion dâune Ăšre pour la chaĂźne, et soulĂšve dâimportantes questions Ă©conomiques et culturelles, au-delĂ des polĂ©miques politiques qui lâaccompagnent.
Un arrĂȘt dictĂ© par lâĂ©conomie du late-night
Selon des sources internes, le principal facteur ayant motivĂ© la direction de CBS Ă mettre un terme Ă lâĂ©mission est dâordre financier. « The Late Show » accumulait des pertes comprises entre 40 et 50 millions de dollars par an, une rĂ©alitĂ© qui nâa pu ĂȘtre compensĂ©e, malgrĂ© les excellentes audiences de Stephen Colbert en deuxiĂšme partie de soirĂ©e. Le rĂ©seau fait face Ă un dĂ©sintĂ©rĂȘt progressif des annonceurs pour les formats traditionnels de la tĂ©lĂ©vision nocturne, un phĂ©nomĂšne accentuĂ© par la baisse gĂ©nĂ©rale du nombre de tĂ©lĂ©spectateurs dans cette tranche horaire.
George Cheeks, co-PDG de Paramount, la maison-mĂšre de CBS, a confirmĂ© avoir pris cette « dĂ©cision difficile » au vu du contexte Ă©conomique de plus en plus difficile pour les talk-shows nocturnes. Le modĂšle dâaffaires, jadis solide grĂące aux budgets publicitaires gĂ©nĂ©reux, se retrouve drastiquement fragilisĂ© Ă lâĂšre du streaming, du podcast et des nouveaux usages numĂ©riques.
La fusion avec Skydance : une toile de fond déterminante
Lâannonce intervient dans un contexte oĂč Paramount sollicite le feu vert des autoritĂ©s fĂ©dĂ©rales pour finaliser son rapprochement capitalistique avec Skydance Media, une opĂ©ration estimĂ©e Ă plus de 8 milliards de dollars. Cette fusion est scrutĂ©e de prĂšs par la sphĂšre mĂ©diatique, alors que la direction du groupe cherche Ă redĂ©finir sa stratĂ©gie afin de sâadapter Ă une concurrence accrue, oĂč chaque investissement doit ĂȘtre justifiĂ©.
Un autre facteur pesant dans la balance : le rĂ©cent accord Ă lâamiable passĂ© entre Paramount et lâancien PrĂ©sident Donald Trump, pour clore un contentieux autour dâun reportage diffusĂ© sur « 60 Minutes ». La somme versĂ©e â 16 millions de dollars â a suscitĂ© lâindignation, notamment de la part de Stephen Colbert lui-mĂȘme, qui nâa pas hĂ©sitĂ© Ă critiquer en direct la direction de son employeur. Si certains analystes Ă©voquent un contexte tendu avec le pouvoir politique, CBS continue dâaffirmer que la suppression du talk-show est « purement financiĂšre » â une version toutefois remise en question par certains membres du personnel et par les syndicats dâauteurs dâHollywood, qui appellent Ă une enquĂȘte sur les vĂ©ritables motifs derriĂšre cette cessation.
Un hĂ©ritage fort, bouleversĂ© par lâĂ©volution du marchĂ©
LancĂ© en 2015 en remplacement du mythique David Letterman, « The Late Show with Stephen Colbert » sâest rapidement imposĂ© comme le numĂ©ro un incontestĂ© de sa case horaire, rassemblant encore rĂ©cemment quelque 2,5 millions de tĂ©lĂ©spectateurs en moyenne par soirĂ©e. Son ancrage dans lâactualitĂ© politique â souvent orientĂ© contre Donald Trump et ses soutiens â a contribuĂ© Ă transformer lâĂ©mission en tribune, autant humoristique quâengagĂ©e.
Au fil des saisons, le programme est devenu un miroir de lâAmĂ©rique divisĂ©e, entre satire incisive et dĂ©bats de sociĂ©tĂ©. Mais ce statut, jadis source de revenus et dâaudience, nâa pas suffi Ă garantir la viabilitĂ© Ă©conomique du show dans un paysage audiovisuel en pleine mutation.
Un malaise gĂ©nĂ©ralisĂ© dans lâindustrie du late-night amĂ©ricain
Lâannonce de la fin de « The Late Show » intervient dans un climat de turbulence gĂ©nĂ©ralisĂ©e pour les Ă©missions nocturnes aux Ătats-Unis. La fragmentation des audiences, la montĂ©e en puissance des plateformes de streaming, et lâĂ©puisement du modĂšle Ă©conomique traditionnel ont dĂ©jĂ provoquĂ© lâarrĂȘt de plusieurs talk-shows emblĂ©matiques ces derniĂšres annĂ©es.
Face Ă lâĂ©rosion de la publicitĂ©, les grandes chaĂźnes peinent Ă rentabiliser des productions coĂ»teuses : dĂ©cors, Ă©quipes de scĂ©naristes, invitĂ©s prestigieux, rien nâĂ©chappe aujourdâhui Ă la nĂ©cessitĂ© de rationaliser les dĂ©penses. Ce contexte pĂšse sur lâensemble de la profession ; aux Ătats-Unis, les chaĂźnes NBC et ABC ont dĂ©jĂ revu Ă la baisse leur investissement dans le late-night, alors que de nombreux animateurs se tournent vers le podcast ou les programmes numĂ©riques moins onĂ©reux Ă produire.
Un choc pour le public et le paysage culturel
Le public fidĂšle de lâĂ©mission a accueilli la nouvelle avec incomprĂ©hension et dĂ©ception. Lors de lâannonce officielle sur le plateau du Ed Sullivan Theater Ă New York, les spectateurs, pris de court, ont huĂ© et exprimĂ© leur mĂ©contentement Ă haute voix. « Ce nâest pas simplement la fin de notre Ă©mission ; câest la fin dâune institution », a commentĂ© Colbert, sans annoncer de projet de remplacement pour le crĂ©neau horaire quâil occupe depuis prĂšs dâune dĂ©cennie.
Pour la chaĂźne CBS, la dĂ©cision est un crĂšve-cĆur : « Notre admiration, notre affection, notre respect pour le talent de Colbert et de son Ă©quipe rendent cette dĂ©cision encore plus difficile », a indiquĂ© un communiquĂ© du groupe. Pourtant, la dynamique Ă©conomique du secteur ne leur laisse guĂšre dâalternative.
Comparaison internationale et évolution du secteur
Cette situation nâest pas sans rappeler la vague de rationalisation qui touche aussi les chaĂźnes europĂ©ennes, oĂč de nombreux programmes phares subissent des coupes budgĂ©taires ou sont repensĂ©s pour mieux coller Ă la demande des jeunes publics, dĂ©sormais adeptes du streaming et du contenu Ă la demande.
En France, si « Quotidien » ou « C Ă Vous » maintiennent des audiences confortables en early access, le modĂšle du late-night Ă lâamĂ©ricaine nâa jamais vĂ©ritablement pris racine hors des frontiĂšres nord-amĂ©ricaines. En Grande-Bretagne, Graham Norton ou Jonathan Ross subissent eux aussi la concurrence frontale des plateformes, qui aspirent une bonne part des annonceurs et des abonnĂ©s potentiels, rĂ©duisant la marge de manĆuvre des diffuseurs historiques.
Syndicats et élus demandent la transparence
La Writers Guild of America (WGA), syndicat des scĂ©naristes, sâest rapidement exprimĂ©e pour rĂ©clamer une enquĂȘte indĂ©pendante sur les conditions du dĂ©part de Colbert et censĂ©ment sur la possibilitĂ© dâun motif politique. Les sĂ©nateurs dĂ©mocrates Elizabeth Warren et Adam Schiff ont publiquement exigĂ© que CBS rende des comptes, estimant que « lâAmĂ©rique a le droit de savoir si cette dĂ©cision est vraiment justifiĂ©e par des impĂ©ratifs Ă©conomiques, ou si dâautres motivations ont pesĂ© dans la balance ».
Quel avenir pour lâinformation-spectacle nocturne ?
LâarrĂȘt brutal du « Late Show » symbolise la profonde recomposition du paysage mĂ©diatique amĂ©ricain : le talk-show Ă grand spectacle, pilier de la vie culturelle U.S. pendant des dĂ©cennies, doit dĂ©sormais composer avec des dĂ©fis structurels sans prĂ©cĂ©dent. La question se pose dĂ©sormais : qui incarnera la prochaine gĂ©nĂ©ration de voix du late-night, et sur quels supports sâexprimeront-elles â plateformes numĂ©riques, rĂ©seaux sociaux ou nouveaux mĂ©dias hybrides ?
Ă lâapproche du clap de fin pour Stephen Colbert, une page se tourne. CBS, Paramount et lâindustrie tout entiĂšre devront tirer les enseignements de cette mutation, pour rĂ©inventer un divertissement encore porteur des valeurs dâirrĂ©vĂ©rence et dâesprit critique tant apprĂ©ciĂ©es par le public amĂ©ricain et mondial. La tĂ©lĂ©vision linĂ©aire, elle, poursuit son lent dĂ©clin, poussĂ©e Ă se renouveler ou Ă disparaĂźtre sous la pression de la rĂ©volution numĂ©rique.