CBS annonce l'annulation de "The Late Show with Stephen Colbert" pour des raisons financières

Un tournant décisif pour le paysage télévisuel américain

Le 18 juillet 2025, CBS a officiellement annoncé l’annulation de "The Late Show with Stephen Colbert", émission phare de la télévision américaine, prévue pour le printemps 2026. Après une décennie marquée par l’influence et les éclats du présentateur Stephen Colbert, cette décision représente bien plus qu'une simple modification de grille : elle illustre les nouveaux défis économiques et stratégiques auxquels fait face l’industrie du divertissement télévisé aux États-Unis.

Dix ans de succès et de transformations

Lancé en 2015 à la suite de l’ère David Letterman, "The Late Show with Stephen Colbert" s’est rapidement imposé comme un pilier du late-night television. Colbert, déjà célèbre pour son satirique “The Colbert Report” sur Comedy Central, a su transformer la formule classique du talk-show de fin de soirée en un espace de commentaires acerbes, d’humour politique et de performances artistiques de premier plan.

Le ton incisif, la capacité à attirer des invités prestigieux — artistes, politiciens, penseurs — et une rédaction agile ont fait du programme un repère pour des millions de téléspectateurs. CBS, par la voix de ses dirigeants, a salué cette « aventure historique » et rendu hommage à Colbert, qualifiant l’animateur de « talent irremplaçable ».

Les raisons officielles d’une décision historique

L’annonce, transmise lors d’un enregistrement de l’émission, a suscité surprise et déception chez le public présent. La chaîne invoque exclusivement des considérations financières. Selon George Cheeks, Amy Reisenbach et David Stapf, trois des principaux dirigeants, "cela n’a rien à voir avec la performance de l’émission, son contenu ni aucun autre dossier chez Paramount". CBS met donc en avant la réalité économique du late-night : baisse des audiences linéaires, coûts de production élevés, évolution des habitudes de consommation, notamment le basculement d’une partie du public vers le streaming et les formats courts dominés par les réseaux sociaux.

Il s’agit aussi de la fin pure et simple de la marque "The Late Show" sur CBS, alors qu’aucun remplaçant ni reformatage n’est annoncé pour la case horaire. Ce choix marque un possible retrait du réseau du secteur du late night, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de 30 ans.

Un contexte économique et médiatique fragilisé

Le monde de l’audiovisuel, surtout aux États-Unis, connaît une mutation profonde. Les audiences des talk-shows nocturnes déclinent d’année en année. Là où, il y a deux décennies, ces rendez-vous nocturnes attiraient plusieurs millions de téléspectateurs chaque soir, ils doivent désormais faire face à une concurrence dématérialisée : clips viraux, plateformes de streaming, podcasts et réseaux sociaux redessinent la carte de l’attention et de la rentabilité publicitaire.

CBS n’est pas la seule à faire face à ces vents contraires. Sur les principaux networks traditionnels américains, les émissions de late-night souffrent de la même érosion, forçant des coupes budgétaires ou la suppression de cases historiques. En comparaison, des émissions comme "The Tonight Show" sur NBC ou "Jimmy Kimmel Live!" sur ABC demeurent, mais avec des audiences amoindries et un engagement du public bien moindre que lors de l’âge d’or du format.

Soupçons, controverses et démentis

L’annonce de l’annulation intervient dans un climat tendu pour la maison-mère de CBS, Paramount, engagée dans un méga-rachat à 8 milliards de dollars par Skydance Media, et peu après la conclusion d’un litige judiciaire de 16 millions de dollars avec Donald Trump. Les spéculations vont bon train sur les réelles raisons de la décision, d’autant plus que Stephen Colbert s’est distingué par des monologues engagés politiquement, parfois très critiques envers Donald Trump ou l’administration en place.

Cependant, CBS insiste : aucun lien n’existe entre ces polémiques et l’arrêt de l’émission — tout comme le processus de fusion avec Skydance ou les récentes affaires judiciaires du groupe. Le réseau affirme que la décision était déjà à l’étude du fait de la "difficulté croissante à rentabiliser le late-night à la télévision généraliste".

Impact économique sur l’industrie et l’écosystème new-yorkais

L’arrêt de "The Late Show" soulève aussi des inquiétudes locales. Produite à New York, l’émission employait des dizaines de salariés : techniciens, scénaristes, régisseurs, agents de sécurité, équipes de marketing. Les retombées économiques — directes et indirectes — pour le secteur de l’audiovisuel et la ville sont loin d’être négligeables : location de studios, emplois liés à la production, services dérivés et attractivité pour les talents ou les artistes de passage.

L’expérience Colbert avait également imposé New York comme destination de choix pour les événements télévisuels majeurs, participant à la rivalité historique avec les studios de Los Angeles. Avec cette annulation, le secteur se retrouve sous tension, interrogé sur sa capacité à conserver ses emplois et sa dynamique en dehors des plateformes numériques.

Comparaisons avec l’évolution du late-night à l’international

Ce phénomène n’est toutefois pas isolé au marché américain. En Europe, où la télévision linéaire reste puissante mais subit de forts bouleversements, les talk-shows de deuxième partie de soirée sont également en perte de vitesse. Au Royaume-Uni, "The Graham Norton Show" continue d’attirer les foules, mais mise désormais sur le replay, les extraits YouTube et un format hybride pour maintenir son influence.

En France, "Quotidien" sur TMC et, dans une moindre mesure, "C à vous" sur France 5, capitalisent sur l’analyse de l’actualité et les réseaux sociaux pour prolonger leur audience hors du cadre traditionnel. Ces adaptations montrent à quel point la formule du talk-show doit aujourd’hui trouver de nouveaux relais pour survivre, là où le schéma classique peine à s’adapter à la fragmentation de l’audience.

Réaction du public, du monde des médias et avenir du late-night

L’annonce a suscité une vive émotion sur les réseaux sociaux, où fans, politiques et personnalités du monde culturel ont exprimé leur tristesse et salué l’empreinte de Stephen Colbert. Le hashtag #ThankYouColbert a rapidement émergé sur X (ex-Twitter), soulignant l’attachement à la figure du présentateur et la nostalgie d’une époque où le late-show réunissait, soir après soir, une nation devant l’écran.

Mais au-delà de l’hommage, c’est toute une génération de professionnels des médias et de téléspectateurs qui s’interroge sur l’avenir du "late-night television". Quelle place désormais pour le direct, le débat satirique, l’interview long format, face à la dictature du temps court et du binge-watching ? Le modèle doit-il être repensé ou abandonné ?

Un signal fort envoyé à l’industrie

La fin annoncée de "The Late Show with Stephen Colbert", après dix ans d’antenne, symbolise le point de bascule du divertissement télévisuel. Si les raisons avancées par CBS sont avant tout financières et structurelles, l’événement relance d’importants débats sur la transformation des usages médiatiques, l’économie des formats classiques, et la capacité de l’industrie américaine à innover sans se renier.

À mesure que l’échéance de mai 2026 approche, une chose paraît certaine : le paysage du late-night ne sera plus jamais le même, et le vide laissé par Stephen Colbert posera la question, à CBS comme ailleurs, de l’alchimie nécessaire entre humour, information et regard critique sur le monde.