Paramount sous le feu des critiques aprĂšs la suppression de The Late Show et un accord avec Trump
Une onde de choc dans le paysage audiovisuel américain
La rĂ©cente annonce de lâannulation de âThe Late Show with Stephen Colbertâ par Paramount, prĂ©vue pour mai 2026, a dĂ©clenchĂ© une vague de critiques et de spĂ©culations dans lâindustrie mĂ©diatique amĂ©ricaine. Ce choix difficile, dĂ©voilĂ© peu de temps aprĂšs le rĂšglement dâun procĂšs Ă 16 millions de dollars avec le prĂ©sident Donald Trump concernant une interview controversĂ©e dans â60 Minutesâ de Kamala Harris, fait craindre Ă certains observateurs quâil puisse sâagir dâune dĂ©cision motivĂ©e par des intĂ©rĂȘts politiques plutĂŽt que strictement Ă©conomiques. Paramount, maison mĂšre de CBS, se dĂ©fend. Mais la sĂ©quence des Ă©vĂ©nements, sur fond de fusion imminente avec Skydance Media, nourrit la polĂ©mique et la vigilance du public.
Historique du conflit : â60 Minutesâ, Trump, et la bataille judiciaire
Pour comprendre lâampleur du scandale, il convient de rappeler le contexte. Ă lâautomne 2024, lâĂ©quipe juridique de Donald Trump avait intentĂ© un procĂšs de 20 milliards de dollars contre CBS News, accusant la chaĂźne dâavoir manipulĂ© une interview accordĂ©e par Kamala Harris dans â60 Minutesâ, au dĂ©triment du candidat rĂ©publicain. Les tensions Ă©taient exacerbĂ©es Ă lâapproche de lâĂ©lection prĂ©sidentielle, alors que lâaudiovisuel devenait Ă nouveau un terrain dâaffrontement politique majeur.
AprĂšs plusieurs mois de tractations et de mĂ©diatisation, Paramount a acceptĂ© de rĂ©gler Ă lâamiable pour 16 millions de dollars afin de mettre fin aux poursuites. Cette dĂ©cision a immĂ©diatement suscitĂ© lâindignation de nombreux journalistes et dĂ©fenseurs de la libertĂ© de la presse, qui y ont vu une dangereuse concession aux pressions politiques et une atteinte Ă la tradition dâindĂ©pendance du groupe CBS. La somme, qui ne sera versĂ©e ni directement ni indirectement Ă Trump mais couvrira ses frais de justice et contribuera Ă financer sa future bibliothĂšque prĂ©sidentielle, a nĂ©anmoins accentuĂ© les soupçons quant au timing de lâannonce.
Une suppression controversée qui fait trembler Hollywood
Ă peine deux jours aprĂšs que Stephen Colbert ait publiquement qualifiĂ© le rĂšglement de "gros pot-de-vin", CBS officialisait la fin prochaine de âThe Late Showâ aprĂšs plus dâune dĂ©cennie de succĂšs. Colbert, personnalitĂ© phare du late-night, a offert Ă la chaĂźne des audiences solides et une visibilitĂ© incontournable sur un marchĂ© nocturne devenu extrĂȘmement concurrentiel. La stupeur sâest vite transformĂ©e en colĂšre chez certains acteurs de lâindustrie.
Le Writers Guild of America (WGA), syndicat reprĂ©sentant les scĂ©naristes, a dĂ©noncĂ© un âdangerâ pour la dĂ©mocratie, voyant dans ce geste la possible consĂ©quence dâun âchantage politiqueâ visant Ă plaire Ă lâadministration Trump, alors que Paramount cherche le feu vert des rĂ©gulateurs fĂ©dĂ©raux (dont plusieurs membres nommĂ©s par Trump) pour finaliser la fusion avec Skydance Media, une sociĂ©tĂ© Ă la rĂ©putation plus conservatrice. Le WGA a sollicitĂ© une enquĂȘte de la procureure gĂ©nĂ©rale de New York, Letitia James.
CBS, pour sa part, qualifie la suppression de dĂ©cision purement financiĂšre, invoquant la baisse gĂ©nĂ©rale des audiences sur les formats de late-night, la mutation des habitudes de consommation vidĂ©o et la nĂ©cessitĂ© dâadapter sa grille Ă une concurrence numĂ©rique acharnĂ©e. Colbert est saluĂ© comme âirremplaçableâ et la franchise âThe Late Showâ sera tout simplement retirĂ©e de lâantenne, selon la direction de CBS.
Le vrai coût économique du prime time nocturne
Les late shows, longtemps rĂ©putĂ©s lucratifs grĂące Ă la publicitĂ© premium diffusĂ©e aprĂšs le journal du soir, sont, comme lâensemble du secteur audiovisuel traditionnel, confrontĂ©s Ă une double menace :
- Fragmentation de lâaudience : Lâessor du streaming et la montĂ©e en puissance des plateformes sociales rĂ©duisent le nombre de spectateurs fidĂšles Ă la tĂ©lĂ©vision linĂ©aire.
- CoĂ»ts de production : Ces Ă©missions bĂ©nĂ©ficient dâĂ©quipes techniques et Ă©ditoriales nombreuses, ainsi que de la rĂ©munĂ©ration Ă©levĂ©e de leurs animateurs vedettes.
Selon plusieurs analystes, la dĂ©cision de Paramount sâinscrit ainsi dans une tendance plus large : ajuster ou supprimer des programmes historiques qui ne gĂ©nĂšrent plus le rendement financier attendu, particuliĂšrement en pĂ©riode de fusions et acquisitions qui imposent des coupes budgĂ©taires.
La fusion Paramount-Skydance : catalyseur de tensions
La situation ne se limite pas Ă la sphĂšre du divertissement. Le rachat en cours de Paramount par Skydance Media, dirigĂ© par David Ellison, pour environ 8 milliards de dollars, est au cĆur des prĂ©occupations. Ce rapprochement pourrait redĂ©finir lâorientation Ă©ditoriale du groupe, Skydance Ă©tant perçu dans lâindustrie comme plus alignĂ© sur des valeurs conservatrices.
La direction de Paramount espĂ©rerait que le rĂšglement avec Trump gomme les obstacles rĂ©glementaires, plusieurs voix conservatrices reprochant Ă CBS une couverture jugĂ©e partiale contre les RĂ©publicains. Des sources proches du dossier laissent entendre que lâadministration Trump pourrait conditionner lâobtention des autorisations de fusion, notamment auprĂšs de la FCC, Ă la rĂ©solution du conflit judiciaire. Cette pression politique supposĂ©e fait lâobjet de dĂ©bats en coulisses et dâune animositĂ© exacerbĂ©e dans la presse amĂ©ricaine.
Réactions et mobilisation au sein de la profession
La mobilisation ne faiblit pas du cĂŽtĂ© des scĂ©naristes et professionnels de la tĂ©lĂ©vision. Outre le WGA, dâautres comĂ©diens, dont Jon Stewart, animateur du mythique âThe Daily Showâ, ont publiquement exprimĂ© leur inquiĂ©tude concernant âlâeffet dominoâ que pourrait provoquer cette suppression sur dâautres institutions du late-night. Des milliers dâemplois liĂ©s Ă la production, Ă lâĂ©criture et Ă la diffusion sont potentiellement menacĂ©s, une crainte qui traverse dĂ©sormais tout le secteur audiovisuel amĂ©ricain.
Dans les couloirs de CBS, câest lâabattement. George Cheeks et Amy Reisenbach, dirigeants de la chaĂźne, se sont dits âfiersâ du parcours de Stephen Colbert et assurent vouloir accompagner Ă©quitablement les Ă©quipes impactĂ©es. Mais dans lâopinion publique, le doute subsiste quant Ă la sincĂ©ritĂ© des arguments uniquement financiers Ă©voquĂ©s pour justifier la coupure brutale de lâun des talk-shows les plus emblĂ©matiques de la tĂ©lĂ©vision amĂ©ricaine.
Comparaisons régionales : Un phénomÚne transatlantique ?
Ce bouleversement ne touche pas que les Ătats-Unis. Ă travers le monde occidental, lâindustrie tĂ©lĂ©visuelle doit Ă©voluer au rythme de la transformation numĂ©rique. En Grande-Bretagne, des Ă©missions telles que âThe Graham Norton Showâ ou âHave I Got News for Youâ se rĂ©inventent en misant davantage sur les plateformes de rattrapage et le contenu viral. En France, le crĂ©neau du late-night, historiquement moins fort quâaux Ătats-Unis, fait lui aussi face Ă des choix budgĂ©taires complexes et Ă la migration des jeunes publics vers des formats courts sur YouTube ou TikTok. Toutefois, la centralisation des groupes audiovisuels français, protĂ©gĂ©s par la rĂ©glementation, limite pour lâinstant lâampleur de tels sĂ©ismes Ă la tĂ©lĂ©vision hexagonale.
Un avenir incertain pour le late-night américain
La suppression du âLate Showâ avec Stephen Colbert marque la fin dâune Ă©poque. Face Ă la multiplication des plateformes, Ă la pression politique croissante et Ă la quĂȘte permanente de rentabilitĂ©, câest toute la tradition du late-night Ă l'amĂ©ricaine qui vacille, emportant dans son sillage lâun des comĂ©diens les plus acides et influents de la dĂ©cennie.
Dans lâimmĂ©diat, les regards se tournent vers les autoritĂ©s de lâĂtat de New York, sollicitĂ©es pour ouvrir une enquĂȘte sur la motivation rĂ©elle de cette annulation. Au-delĂ du sort de Colbert, câest la question-clĂ© de la libertĂ© dâexpression, de lâindĂ©pendance Ă©ditoriale des mĂ©dias et de lâavenir socio-Ă©conomique de milliers de salariĂ©s qui agitent les coulisses.
La polĂ©mique Paramountâentre rĂšglement judiciaire avec Donald Trump, critique dâun possible âpot-de-vinâ, et tension sur la libertĂ© de la presseâmet en lumiĂšre une industrie sous pression, au croisement de lâĂ©conomie, de la culture et de la politique, scrutĂ©e de prĂšs par le public et les dĂ©fenseurs de la dĂ©mocratie.