Île de Chorao : Les nouveaux ferries RoRo intensifient la congestion et suscitent le débat

Chorao, 26 juillet 2025 – Le lancement controversé des ferries RoRo sur la ligne Chorao-Ribandar bouleverse la vie locale

L’arrivée récente de ferries RoRo sur l’itinéraire stratégique Chorao-Ribandar a ravivé les espoirs de mobilité durable tout en déclenchant de vives inquiétudes parmi les habitants de l’île de Chorao. Les navires, baptisés « Gangotri » et « Dwarka » dans le cadre d’un partenariat public-privé, incarnent une volonté de modernisation et d’innovation : ils sont présentés comme zéro émission carbone et conçus pour remplacer progressivement la flotte vétuste qui assure la desserte insulaire. Cependant, à peine quelques semaines après leur mise en circulation, la communauté locale déplore une aggravation notable du trafic et une congestion routière devenue préoccupante.

Un nouveau service, de grandes attentes et de réels enjeux

Avec l’introduction récente du service RoRo (Roll-on/Roll-off), les autorités espéraient relancer le dynamisme socio-économique de Chorao, tout en offrant un transport fluvial respectueux de l’environnement. La manœuvre entend ainsi mettre fin à une longue tradition de ferries bruyants, polluants et en fin de vie, dont les pannes répétées minaient jusqu’à présent la vie des insulaires.

Mais ce progrès technique s’accompagne d’un revers inattendu. Les habitants dénoncent une hausse soudaine et marquée du volume de véhicules acheminés sur l’île depuis la terre ferme, entraînant de véritables embouteillages au débarcadère et dans les ruelles autrefois paisibles. Selon plusieurs témoignages recueillis lors d’une réunion publique, organisée lundi soir, ce « boom de la fréquentation » compromet le quotidien, ralentit l’accès aux écoles, aux marchés et génère un ressentiment croissant envers l’intensification de la pression anthropique.

Contexte historique : Chorao, entre patrimoine naturel et pressions du développement

L’île de Chorao, enclavée dans l’estuaire de la Mandovi et fameuse pour sa mangrove luxuriante, son sanctuaire d’oiseaux Salim Ali et ses terres agricoles irriguées par un savant système d’endiguement traditionnel (khazans), illustre depuis des décennies un fragile équilibre entre modernité et préservation du patrimoine. Au fil des ans, Chorao a vu augmenter la fréquentation touristique, le transit de véhicules et la multiplication des projets d’infrastructure, exerçant une pression constante sur ses écosystèmes et sa qualité de vie.

Le recours intensif à la voie fluviale n’est pas nouveau : historiquement, la navigation entre Chorao, Ribandar et Panaji, capitale du Goa, revêt un caractère stratégique pour le commerce, l’accès aux services essentiels et la mobilité quotidienne. Cependant, la nature insulaire impose d’inévitables contraintes en termes de capacité d’accueil et d’adaptation du réseau routier à l’afflux motorisé.

Impact économique : progrès, inégalités et incertitudes

D’un point de vue économique, l’arrivée des ferries RoRo procure des avantages tangibles : la réduction des temps de traversée, la fiabilité accrue du service, ainsi que la possibilité de transporter un plus grand nombre de passagers, de véhicules particuliers et commerciaux. Pour les acteurs économiques locaux, commerçants, agriculteurs ou prestataires touristiques, cette fluidification des échanges est cruciale, surtout à l’aube de la haute saison touristique où la demande atteint des sommets.

Néanmoins, cette course à la modernisation soulève aussi des interrogations. Certains s’interrogent sur le rapport coût/bénéfice dans le contexte d’une île où les routes, étroites et sinueuses, n’ont pas été conçues pour encaisser un tel volume de circulation. De plus, l’augmentation de véhicules motorisés comporte un risque accru pour les infrastructures historiques, la sécurité piétonne et l’intégrité du paysage insulaire, déjà marqué par des décennies d’érosion, d’inondations et de mutations agricoles liées au déclin du système khazan. L’économie du tourisme, moteur clé de la région, pourrait également pâtir d’une dégradation de l’expérience de voyage et de la perte du cachet traditionnel de Chorao.

Gestion de la crise : mobilisation communautaire et réponses des pouvoirs publics

Face au mécontentement, une réunion cruciale s’est tenue lundi soir, réunissant résidents, responsables locaux et le ministre des Voies Navigables, Subhash Phaldesai. Le ton se voulait à la fois constructif et ferme. Les habitants ont exigé une régulation immédiate du flux de véhicules, l’amélioration de la signalétique, ainsi que la création de zones tampon pour limiter la congestion aux heures de pointe.

Le ministre Phaldesai a défendu l’initiative, insistant sur l’aspect exemplaire du modèle économique – fonctionnant sur le principe de la location sans coûts directs pour l’État – et rappelant la vocation « écologique » du service. Selon lui, certaines critiques émaneraient d’individus « hostiles au changement » et « cherchant à saboter » l’effort collectif de verdissement du transport.

Polémique autour du nom des ferries et débat identitaire

Parallèlement à la crise de mobilité, une vive polémique est née autour du choix des noms « Gangotri » et « Dwarka » pour les nouveaux ferries. Amit Patkar, président du GPCC, a publiquement interrogé la pertinence de noms non locaux pour des navires desservant une communauté à forte identité goanaise. Il suggère leur relocalisation ou leur renommage afin de mieux refléter l’ancrage culturel de la région. Ce débat met en lumière un phénomène observé dans de nombreuses régions indiennes où les projets de développement sont perçus à travers le prisme de l’identité, rappelant la nécessité d’un dialogue inclusif entre modernité et valorisation des racines.

Perspectives régionales : Chorao à l’épreuve d’une modernisation généralisée

La congestion de Chorao s’inscrit dans une tendance régionale plus large : l’État du Goa est en pleine mutation, avec une série de projets de modernisation des infrastructures fluviales et maritimes ayant pour but d’intensifier l’intégration des zones « difficiles d’accès » au tissu économique central. D’autres îles de l’estuaire (Divar, Vanxim) ont déjà connu des situations similaires lors de l’introduction de ferries de plus grande capacité, se heurtant à des défis analogues : manque de préparation des accès routiers, crainte d’une sur-urbanisation non contrôlée et tensions entre développement et préservation.

Pour la population de Chorao, la question cruciale demeure : comment bénéficier des retombées du progrès sans altérer de façon irréversible le caractère unique de l’île ? Faut-il instaurer un système de quotas de véhicules, revoir le plan de circulation interne ou investir davantage dans des solutions de mobilité douce et de gestion intelligente du trafic ?

Vers un nouveau modèle de transport intégré à Chorao

Le chef de l’exécutif régional, Pramod Sawant, a rappelé lors de l’inauguration du service que la modernisation du réseau de ferries constitue l’un des axes centraux de son programme, avec la promesse de remplacer l’ensemble de la flotte au fil des prochaines années. L’objectif annoncé est ambitieux : concilier développement économique, transition verte et respect du patrimoine.

Pour résorber la congestion et accompagner la transformation, plusieurs pistes émergent au sein de la société civile : promotion de la mobilité partagée, réhabilitation des berges, meilleure coordination des horaires de rotation, voire reconsidération de l’accès des véhicules non résidents.

Réactions du public et sentiment d’urgence

Dans les rues de Chorao, le sentiment oscille entre fascination pour les nouveaux ferries – salués comme des prouesses techniques respectueuses de l’environnement – et lassitude face à l’engorgement soudain. De nombreux habitants expriment à la fois leur reconnaissance envers les efforts de modernisation et leur crainte de voir s’éroder la tranquillité insulaire. Des automobilistes soulignent les difficultés à circuler, les attentes prolongées et la multiplication d’incidents mineurs sur une voirie déjà sollicitée, tandis que les piétons, cyclistes et écoliers appellent à préserver les formes de mobilité douce.

Conclusion : Un équilibre à réinventer

La crise de congestion provoquée par l’introduction des ferries RoRo à Chorao réactive des questions aussi anciennes que fondamentales : comment gérer la croissance, protéger l’environnement et garantir une qualité de vie harmonieuse ? Si l’innovation technologique offre de formidables leviers de transition, elle doit être accompagnée de dispositifs d’encadrement, d’écoute des populations et d’une gouvernance attentive aux spécificités de chaque territoire.

L’Île de Chorao, à la croisée des chemins entre tradition et modernité, sera sans doute scrutée par d’autres régions dans l’élaboration de modèles de mobilité fluviale durables et adaptés aux réalités locales.