Haïti face à l’escalade de la violence des gangs et au défi des expulsions massives
Port-au-Prince, Haïti – La capitale haïtienne, autrefois vibrante, est aujourd’hui paralysée et isolée par une vague de violence sans précédent orchestrée par des gangs armés. Selon les Nations Unies, ces groupes criminels contrôlent désormais près de 90% de Port-au-Prince, plongeant la ville dans le chaos et aggravant une crise humanitaire déjà alarmante. Cette situation critique coïncide avec une décision majeure des États-Unis : la fin du statut de protection temporaire (TPS) pour plus de 500 000 Haïtiens résidant sur leur sol, qui devront quitter le pays d’ici septembre. Face à la violence et à l’instabilité, la perspective de retour inquiète autant qu’elle divise.
La montée fulgurante de la violence des gangs à Port-au-Prince
Depuis le début de l’année 2025, la violence des gangs a atteint un niveau record. Plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées à travers le pays, fuyant les attaques, les enlèvements et les exactions qui se multiplient dans les quartiers populaires et les zones rurales. Les Nations Unies rapportent qu’au moins 2 680 personnes ont été tuées entre janvier et fin mai 2025, dont de nombreux enfants, et près d’un millier d’autres blessées ou enlevées pour rançon.
Les gangs, profitant de l’effondrement des institutions étatiques et de la faiblesse des forces de l’ordre, imposent leur loi sur les routes, les marchés et les infrastructures vitales. Ils installent des barrages, exigent des rançons pour la circulation des biens et des personnes, et s’attaquent aux postes de police, hôpitaux et écoles. La capitale est désormais coupée du reste du pays, l’aéroport international de Port-au-Prince étant régulièrement fermé en raison des combats, et les vols commerciaux suspendus.
Un contexte historique de crises et d’instabilité
La crise actuelle s’inscrit dans une longue histoire de turbulences politiques, économiques et sociales en Haïti. Depuis son indépendance en 1804, le pays a connu de multiples coups d’État, dictatures, catastrophes naturelles et interventions étrangères. L’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a marqué un tournant : le vide du pouvoir a permis aux gangs de s’emparer de larges portions du territoire, profitant de l’absence d’État et de l’arrivée massive d’armes illégales.
La transition politique qui a suivi, avec la démission du Premier ministre Ariel Henry en 2024 et la mise en place d’un conseil présidentiel de transition, n’a pas suffi à rétablir l’ordre. Les institutions restent fragiles et la population, déjà éprouvée par la pauvreté chronique, la corruption et les catastrophes naturelles, se retrouve livrée à elle-même face à la violence.
Impact économique : une économie à l’agonie
La montée de la violence a des conséquences dévastatrices sur l’économie haïtienne. Les gangs contrôlent les principaux axes routiers et les zones agricoles stratégiques, notamment la vallée de l’Artibonite, considérée comme le grenier du pays. Les agriculteurs sont victimes d’extorsions, d’intimidations et de menaces directes, les contraignant à abandonner leurs terres. Les marchés sont inaccessibles, les prix des denrées explosent – le maïs, par exemple, a augmenté de 10% dans certaines régions.
La fermeture fréquente des ports et de l’aéroport international entrave l’importation de produits essentiels, aggravant l’insécurité alimentaire. Selon Mercy Corps, la baisse de la production agricole, la destruction des infrastructures et les déplacements massifs de population poussent la faim et la pauvreté à des niveaux sans précédent en 2025.
Haïti, déjà l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental, voit son tissu économique se déliter. Plus de 86% de la population vit avec moins de deux dollars par jour, et 56% avec moins d’un dollar, selon les estimations récentes. Les entreprises ferment, le chômage explose, et l’économie informelle, souvent contrôlée par les gangs, prospère au détriment de la stabilité.
Les expulsions américaines : un retour impossible ?
Dans ce contexte dramatique, l’annonce du Département de la sécurité intérieure des États-Unis de mettre fin au statut de protection temporaire pour les Haïtiens a provoqué une onde de choc. Plus de 500 000 ressortissants haïtiens, installés parfois depuis des années outre-Atlantique, devront quitter le territoire américain d’ici septembre. Certains se voient offrir un billet d’avion et une aide de 1 000 dollars pour faciliter leur retour.
Cette mesure suscite l’inquiétude des organisations humanitaires et des défenseurs des droits humains, qui jugent la situation en Haïti incompatible avec un retour massif. Le pays, déjà submergé par les déplacés internes et incapable de garantir la sécurité de ses citoyens, n’a ni les infrastructures ni les ressources pour accueillir un tel afflux. Les risques pour les personnes expulsées sont considérables : exposition à la violence, absence de logement, difficulté d’accès à la santé et à l’éducation.
Réactions et comparaisons régionales
La crise haïtienne suscite une vive émotion dans la diaspora et chez les voisins de la Caraïbe. En République dominicaine, qui partage l’île d’Hispaniola avec Haïti, les autorités ont renforcé la sécurité à la frontière et limité les passages, craignant un afflux de réfugiés. D’autres pays de la région, comme les Bahamas ou les îles Turks-et-Caïcos, signalent une augmentation des arrivées de migrants haïtiens par voie maritime, souvent au péril de leur vie.
Comparée à d’autres crises migratoires régionales, la situation en Haïti se distingue par l’intensité de la violence et l’effondrement quasi total de l’État. Alors que certains pays d’Amérique centrale connaissent aussi des problèmes de criminalité et de pauvreté, aucun n’atteint le niveau d’anarchie observé actuellement à Port-au-Prince. Les organisations internationales appellent à une réponse coordonnée, soulignant la nécessité d’un soutien humanitaire massif et d’une solution politique durable.
L’urgence d’une réponse internationale
Face à l’ampleur de la crise, l’ONU et de nombreuses ONG exhortent la communauté internationale à agir de toute urgence. La paralysie de la capitale, la propagation de la violence dans les régions centrales et l’effondrement des services publics laissent craindre une catastrophe humanitaire majeure. Les diplomates onusiens mettent en garde contre un « effondrement total de la présence de l’État » si rien n’est fait pour rétablir la sécurité et soutenir les populations vulnérables.
Les appels à l’aide se multiplient, mais la complexité du contexte haïtien, marqué par la méfiance envers les interventions étrangères et la fragmentation des acteurs locaux, complique la mise en œuvre de solutions efficaces. La priorité reste la protection des civils, la restauration de l’ordre public et la relance de l’économie, sans quoi l’exode et la violence risquent de s’aggraver encore.
Perspectives et enjeux pour l’avenir
L’avenir d’Haïti reste incertain. La conjonction de la violence des gangs, de la crise humanitaire et des expulsions massives menace la stabilité non seulement du pays, mais de toute la région caribéenne. Pour les Haïtiens, la survie quotidienne l’emporte sur toute perspective de reconstruction à long terme. Les familles déplacées vivent dans la peur, les enfants sont privés d’école, et l’espoir d’un retour à la normale s’amenuise chaque jour.
Dans ce contexte, la solidarité internationale et la mobilisation des acteurs régionaux apparaissent plus cruciales que jamais. Haïti, « paralysée et isolée », attend une réponse à la hauteur de la crise qui la frappe, alors que la fenêtre d’action pour éviter l’effondrement total se referme dangereusement.