Manifestations en Égypte : Colère Transparente face à la politique menée à Gaza et aux allégations de brutalité policière
Déferlement de la contestation dans le Delta du Nil
Le vendredi 9 août 2025, l’Égypte voit s’enflammer la rue sous l’effet conjugué de son engagement critiqué dans le conflit de Gaza et d'accusations de torture policière. Au cœur du gouvernorat de Dakahlia, devant le tribunal de Belqas, des centaines de citoyens se sont rassemblés, exigeant justice après la mort d’Ayman Sabry. Ce dernier aurait succombé à des actes de torture perpétrés au poste de police local, selon des témoins et des proches. Les tensions ont dégénéré en affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, illustrant un malaise croissant face à la répression intérieure.
Une escalade rare : prise d’assaut d’un bureau de sécurité
Dans un acte de défi peu observé depuis la vague révolutionnaire de 2011-2013, un groupe de jeunes Égyptiens a investi le siège de la sécurité d’État dans la nuit de vendredi, retenant plusieurs fonctionnaires pendant plusieurs heures. L’événement marque une rupture symbolique avec la passivité qui caractérisait la scène militante égyptienne, désormais galvanisée par deux griefs majeurs : le soutien du Caire à la fermeture du point de passage de Rafah et la persistance de violations des droits humains sur le territoire national.
Contexte historique : de la répression à la diplomatie frontalière
La relation complexe entre l’Égypte et la bande de Gaza s’enracine dans la politique régionale post-2013, sous l’impulsion du président Abdel Fattah al-Sissi. Le passage de Rafah fermé à répétition, invoquant la sécurité nationale, est perçu comme une complicité tacite avec les objectifs israéliens d’isolation du territoire palestinien. Cette posture contraste avec l'élan de solidarité populaire qui anime de nombreux Égyptiens, organisant des marches et des campagnes pour réclamer l’ouverture de Rafah et la livraison d’aide humanitaire.
Au fil des dernières années, les autorités n'ont pas hésité à expulser ou interroger des militants pro-Palestiniens, qu’ils soient locaux ou étrangers, cherchant à étouffer toute contestation susceptible d’ébranler la stabilité intérieure. À l’heure où la pression internationale s’intensifie, la politique égyptienne demeure ambivalente : engagement affiché sur la scène internationale, mais contrôle renforcé des flux et des voix dissidentes sur le territoire national.
L'impact économique et social des manifestations
Les troubles actuels surviennent dans un contexte marqué par la fragilité économique de l’Égypte. La fermeture du passage de Rafah affecte le commerce transfrontalier, la circulation de travailleurs et l’acheminement de biens de première nécessité, battant en brèche l’économie informelle qui dépend de cette zone. Le gouvernorat de Dakahlia, poumon agricole du Delta, voit ses marchés désorganisés par le déploiement policier, et de nombreux commerçants dénoncent une baisse marquée de la fréquentation due au climat de peur et d’insécurité.
Au niveau national, la montée de la contestation sociale vient s'ajouter à l’inflation persistante et au chômage des jeunes. Les revendications portent autant sur la protection des droits des citoyens que sur l’appel à une gouvernance plus transparente et responsable, notamment en matière d’utilisation des ressources et de politique frontalière. Cette jonction entre crise économique et désaveu citoyen accentue la vulnérabilité du pouvoir en place.
Brutalité policière et répression : état des lieux
Le cas d’Ayman Sabry, dont le corps portait selon sa famille « des marques indiscutables de torture », rend visible un phénomène longtemps dénoncé par les ONG et les associations locales. Depuis 2013, Human Rights Watch ainsi que Amnesty International pointent la récurrence de détentions arbitraires, de violences en garde à vue et d’absence de recours juridique.
La semaine dernière, plusieurs manifestations ont été rapidement dispersées à Alexandrie, au Caire et à Suez, parfois à l’aide de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Les autorités soutiennent que toute action violente contre la police fera l’objet de poursuites pénales rigoureuses. Pourtant, le sentiment d’impunité continue de miner la confiance envers les institutions sécuritaires.
Réactions publiques et mobilisation sur les réseaux sociaux
Face au verrouillage des médias traditionnels, la contestation se déplace massivement sur les réseaux sociaux. Les hashtags tel que « #GazaSolidarité » et « #JusticePourAyman » recueillent des milliers de témoignages et de vidéos de la part de citoyens ordinaires. Des influenceurs, artistes et journalistes indépendants appellent à la mobilisation et documentent les abus dans les commissariats.
Des sit-ins de solidarité avec Gaza s’organisent dans les universités et les sièges syndicaux, démontrant la capacité de la société civile à fédérer au-delà des fractures générationnelles et idéologiques. Le rôle structurant des mouvements étudiants et des collectifs féministes se confirme dans l’orchestration des rassemblements.
Comparaison régionale : la protestation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
Dans le Maghreb et le Proche-Orient, les mobilisations liées à la question palestinienne suscitent des réponses diverses selon la permissivité des régimes. Ainsi, le Maroc et la Tunisie autorisent régulièrement des marches pacifiques, leur cadre juridique étant moins restrictif qu’en Égypte. Le Liban et la Jordanie voient régulièrement naître des campements de soutien à Gaza, malgré un encadrement sécuritaire serré.
Cependant, les enjeux de brutalité policière et de répression n’épargnent aucune nation riveraine. En Algérie et en Libye, la contestation sociale liée à des abus policiers fait l’objet de condamnations internationales récurrentes, mais se heurte à des dispositifs coercitifs comparables à ceux de l’Égypte post-2013. La spécificité égyptienne réside dans le contrôle étatique de la communication et la limitation drastique de l’espace civique.
L’avenir incertain du mouvement de protestation en Égypte
Alors que la mobilisation actuelle rappelle à bien des observateurs le printemps arabe, les perspectives d’évolution restent incertaines. Si la pression populaire oblige le gouvernement à surveiller son image internationale, il n'existe pour l’heure aucune indication officielle d’un assouplissement des mesures de sécurité ou d’un changement dans la politique frontalière à Rafah.
Des experts en politique régionale notent que la dynamique protestataire pourrait s’étendre à d’autres gouvernorats si les revendications concernant Gaza et la fin de la brutalité policière continuent à s’unifier. Dans l’intervalle, la communauté internationale multiplie les appels à la retenue et à la transparence, mais sans effet immédiat sur les pratiques des forces de l’ordre ou sur la stratégie diplomatique de l’Égypte envers Gaza.
Conclusion : entre tension locale et enjeux globaux
La vague de protestations qui secoue l’Égypte en août 2025 est révélatrice d’un profond malaise à la fois social, économique et géopolitique. Les citoyens réclament une justice rendue aux victimes, une réforme de la police et une politique étrangère alignée sur les principes de solidarité régionale. La visibilité internationale de ces événements, amplifiée par la couverture médiatique et le relais sur les plateformes numériques, place l’Égypte devant ses responsabilités à l’égard du respect des droits humains et de son rôle dans la crise humanitaire qui sévit à Gaza.
Dans ce contexte instable, la population garde en mémoire les leçons du passé et puise dans la mémoire collective des mouvements sociaux égyptiens pour nourrir son désir de réformes profondes et durables.