Sommet mondial sur la pollution plastique à Genève : un tournant décisif pour la planète
Les dirigeants internationaux réunis pour un traité sur la pollution plastique
Genève accueille cette semaine la dernière session du Comité intergouvernemental de négociation (INC-5.2) visant à élaborer le tout premier traité mondial, juridiquement contraignant, destiné à lutter contre la crise croissante de la pollution plastique. Ce sommet, qui se tient du 5 au 14 août 2025 au Palais des Nations, rassemble des représentants de 179 pays ainsi que de nombreuses organisations, scientifiques, industriels et acteurs de la société civile. L’objectif affiché : forger un consensus autour de mesures concrètes pour protéger l’océan, la santé humaine et l’environnement des conséquences dramatiques des déchets plastiques.
Un contexte historique : de l’alerte à l’action internationale
L’urgence d’une action internationale transparaît dans les estimations récentes. En 2022, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiait une étude alarmante : avec les politiques actuelles, la production mondiale de plastiques pourrait presque tripler d’ici 2060, et les déchets plastiques pourraient eux aussi tripler, dont la moitié finirait encore en décharge et moins d’un cinquième serait recyclé. D’ores et déjà, plus de 460 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde. Au moins 20 millions de tonnes finissent dans l’environnement, et moins de 9% sont recyclées efficacement, selon les dernières données des Nations Unies.
Face à cette crise, l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement avait décidé en 2022 de lancer, sous la houlette du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), l’élaboration d’un accord juridiquement contraignant sur tout le cycle de vie du plastique, depuis la conception jusqu’à la gestion des déchets. La session genevoise représente l’ultime étape de ce processus, qui doit aboutir dans les prochains jours à un texte de compromis.
Les enjeux majeurs : santé, économie, environnement
La pollution plastique affecte l’ensemble de la planète. Le plastique, s’il est synonyme de progrès et d’innovation dans bien des secteurs — emballages alimentaires, textiles, médecine, transports —, engendre des coûts collosaux. Les déchets plastiques saturent décharges et rivières, se fragmentent en microplastiques qui contaminent sols, océans et chaînes alimentaires, impactant la faune comme l’humain. D’après des experts médicaux cités par The Lancet, les plastiques constituent « un danger sous-estimé » pour la santé à tous les âges et à chaque phase de leur cycle de vie, avec des conséquences économiques évaluées à plus de 1 500 milliards de dollars par an.
L’essentiel des déchets proviennent des produits à usage unique : sacs, contenants alimentaires, articles de toilette, etc. Une part importante finit dans les océans, contribuant à la mort de millions d’animaux marins chaque année. Selon les modèles de l’OCDE, la fuite de plastiques dans l’environnement pourrait doubler d’ici 2060, et le stock accumulé dans les milieux aquatiques tripler, aggravant dramatiquement l’impact sur la biodiversité et la santé humaine.
La dimension climatique n’est pas en reste : la production de plastiques, majoritairement à partir de pétrole, est responsable d’environ 4% des émissions globales de gaz à effet de serre et cette part pourrait plus que doubler en l’absence de réforme structurelle.
Les discussions à Genève : négocier un traité contraignant
Au cœur du sommet, un texte de 22 pages comportant 32 articles provisoires fait l’objet d’intenses négociations. Les États membres doivent se prononcer sur des points majeurs : interdictions ou limitations de certains plastiques et produits chimiques, calendriers de réduction de la production, dispositifs de soutien financier aux pays en développement, mécanismes de gouvernance, mais aussi des obligations en matière de conception éco-responsable et de circularité.
Le PNUE insiste : « Nous ne pouvons pas nous contenter de recycler pour sortir de cette crise : une transformation systémique est nécessaire pour atteindre une économie circulaire », résume sa directrice exécutive Inger Andersen. Les débats sont parfois vifs, notamment autour du financement, des responsabilités nationales, des substances à risque, de la gestion des déchets et de la transition des industries concernées.
Réactions et attentes de la société civile
Le sommet bénéficie d’une mobilisation large : outre les délégations étatiques, près de 2 000 représentants d’organisations non gouvernementales, scientifiques, communautés autochtones et industriels participent aux discussions, assistent aux « side-events », manifestations culturelles et ateliers techniques organisés à Genève. Beaucoup insistent sur la nécessité d’un traité « incluant ceux qui sont le plus exposés à la pollution plastique », souligne Global Plastics Action Partnership.
Cette diversité d’acteurs espère voir naître un texte doté de contrôles effectifs, de normes claires et de mécanismes de transparence. Les industriels, eux, se préparent à un changement profond de modèle — certains défendent des innovations (bioplastiques, recharges, consigne), d’autres s’interrogent sur la viabilité économique d’une transition, surtout pour les petites entreprises et les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Impact économique mondial et perspectives à long terme
Le coût de l’inaction est vertigineux, tant pour la santé que pour l’économie mondiale. Les experts estiment que les pertes économiques liées à la pollution plastique — chute du rendement agricole, dégradation de la pêche, tourisme affecté, coûts sanitaires — dépassent largement les investissements nécessaires à la transition vers des alternatives durables. Ainsi, selon l’OCDE, une action ambitieuse pourrait réduire de moitié la production et la pollution plastiques à l’horizon 2040, tout en stimulant l’innovation et la création d’emplois verts.
Toutefois, la répartition des charges et la mise en œuvre des mesures restent des points de friction entre pays développés et émergents. Les régions d’Afrique sub-saharienne et d’Asie du Sud-Est, où la production et l’utilisation de plastiques progressent le plus rapidement, réclament un soutien financier et technologique pour opérer la transition, alors que les pays industrialisés sont pressés de mettre en place des normes universelles.
Comparaisons régionales : où en est le monde en matière de lutte contre la pollution plastique ?
L’Union européenne a adopté dès 2019 une interdiction des principaux plastiques à usage unique et fixé des objectifs ambitieux de recyclage, tout en stimulant l’écoconception. Certains pays comme la France, l’Allemagne, ou le Canada sont en pointe, alors que la Chine a lancé un vaste plan de réduction des plastiques non essentiels. D’autres régions, souvent sous contraintes économiques, progressent plus lentement, même si des initiatives pionnières émergent sur tous les continents, que ce soit au Chili ou au Rwanda, pays souvent cités en exemple pour leurs lois restrictives.
À l’inverse, des États producteurs de pétrole et de plastique, ainsi que certains géants industriels, redoutent une perte de compétitivité et militent pour la prise en compte des contraintes locales et la nécessité de transitions progressives.
Pourquoi Genève peut-elle être un tournant ?
La Suisse joue un rôle historique d’hôte et de médiateur dans de nombreuses négociations internationales sur l’environnement, ayant accueilli plusieurs conventions majeures (CITES, Bâle, Minamata…). Ce sommet genevois sur la pollution plastique pourrait s’ajouter à cette tradition et ouvrir une ère nouvelle, avec la création d’un instrument juridique aussi structurant que, par le passé, les traités sur l’ozone ou le climat.
Pour le PNUE, pour l’OCDE, la réussite des négociations à Genève conditionnera la capacité de la communauté internationale à relever l’un des défis environnementaux majeurs du XXIᵉ siècle – et donnera le ton des politiques publiques pour les décennies à venir.
Conclusion : Enjeux mondiaux et mobilisations locales
L’issue de ce sommet de Genève sur la pollution plastique est attendue avec impatience, tant par les responsables politiques que par les citoyens soucieux d’un futur plus sain. Un traité ambitieux et contraignant ouvrirait la voie à la réduction massive de la pollution plastique, à des économies circulaires innovantes et à la préservation durable des écosystèmes. Mais l’équilibre à trouver entre urgence sanitaire, justice économique et innovation risque d’exiger des compromis que le monde entier observera attentivement au cours de ces dix jours décisifs.